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Revenu de base : une utopie à l’épreuve de la pratique - Barré

Revenu de base : une utopie à l’épreuve de la pratique

Économie & solidarité

Revenu de base : une utopie à l’épreuve de la pratique

Revenu de base, allocation universelle, revenu incompressible... derrière ces termes parfois abstraits se cache l’idée récurrente d’offrir à chaque citoyen un revenu sans condition lui permettant de subvenir à ses besoins primaires. Après de nombreuses expérimentations –souvent concluantes–, le gouvernement finlandais décide à son tour de franchir le pas, faisant ainsi du pays aux mille lacs le premier état européen à mettre ce dispositif en place. Alors, utopie de grande ampleur ou véritable solution d’avenir ?

dimanche 28 février 2016 (Jean-Philippe Peyrache)

Dimanche 19 avril 2015. Les citoyens finlandais se rendent aux urnes pour renouveler leur parlement. Avec 21 % des suffrages exprimés, le parti centriste remporte l’élection. Le nouveau premier ministre, Juha Sipilä, avait évoqué dans son programme l’implémentation d’un mécanisme de revenu de base, auquel sont favorables plus de 75 % des finlandais, dans les régions touchées par le chômage. Le pays scandinave deviendrait ainsi le premier pays européen à mettre en place une telle idée, parfois contestée, en dépit des limitations apparentes de l’organisation actuelle. « Le constat des problèmes de notre système économique est souvent partagé, mais les préconisations sont assez faibles. Étant ingénieur de formation, lorsque je me retrouve confronté à un problème, j’essaie de le résoudre. Que peut-on donc faire pour améliorer notre système ?
Les idées les plus simples peuvent être les plus efficaces : chaque être humain a besoin pour vivre d’un revenu minimal. Offrons-le de manière systématique, nous organiserons le reste après. On traite en premier lieu le cas général », explique Marc de Basquiat, docteur en économie et spécialiste de la question.

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/ Illustration Guimia

Une idée pas toute neuve

L’idée sous-jacente est que chaque citoyen, sans condition, a le droit de vivre décemment et du même coup de recevoir un revenu lui permettant de subvenir à ses besoins primaires : logement, nourriture, énergie... remplaçant par là même tous les systèmes d’allocations déjà existants.
Évoquée en premier lieu par Thomas More dans L’utopie en 1518, cette mesure refait surface au XVIIIe siècle dans La justice agraire. Cette publication de Thomas Paine, intellectuel et révolutionnaire franco-américano-britannique, préconisait l’abolition de la propriété privée et le versement d’une rente annuelle à chaque citoyen à partir de sa majorité. Depuis, l’idée a fait son chemin, défendue par des économistes issus de divers courants de pensée, le plus célèbre d’entre eux n’étant autre que le très libéral Milton Friedman. Cet ardent défenseur de la liberté du marché met en avant le mécanisme dans son ouvrage Capitalisme et liberté. « Le revenu de base est promu par des gens extrêmement variés. On distingue trois principaux courants : en premier lieu, on retrouve les défenseurs de la liberté, car on donne ainsi aux personnes les moyens de disposer d’une liberté réelle. D’autres, principalement chez les catholiques et les francs-maçons, y voient une idée de fraternité qui leur est chère. Enfin, les égalitaristes estiment qu’il est anormal que les différences dépassent un certain seuil, le revenu de base étant un moyen d’instaurer une certaine égalité dans la société », précise Marc de Basquiat.
Selon lui, au-delà des bénéfices à titre individuel, l’application d’une telle mesure aurait indéniablement des effets positifs sur la société tout entière : « Les gains sont très nombreux. La misère est automatiquement éliminée et ce mécanisme, le même pour chaque individu, est parfaitement compréhensible, à l’inverse des systèmes d’allocations et de taxes actuels. Il en résulterait une ré-appropriation par les citoyens et un bénéfice démocratique évident. Pour finir, d’un point de vue économique, on libère les individus, leur permettant de faire des choix rationnels : quitter un travail qui ne leur plaît pas ou prendre le risque de lancer leur propre affaire par exemple. » Baptiste Mylondo, enseignant en économie et philosophie politique, abonde dans son sens : « C’est une opportunité pour la société de se questionner sur certaines choses comme le partage des tâches ou le fait de refuser un emploi que l’on juge trop dégradant, pénible, ou mal rémunéré. C’est une mesure de transformation sociale et d’éradication de la pauvreté. »
Michel Husson, économiste lui aussi, craint d’éventuelles dérives : « Si le revenu inconditionnel est un petit revenu de complément, on risque de tomber dans les travers de l’allocation logement. Les propriétaires savent que les locataires touchent l’APL alors ils se permettent d’augmenter les loyers. L’effet serait le même avec les salaires qui seraient revus à la baisse. »

Un profond changement sociétal

Si une initiative comme le revenu de base semble être une réponse naturelle à la lutte contre la misère et au cercle vicieux provoqué par le chômage longue durée, la question de son financement se pose en première ligne. Marc de Basquiat estime qu’il s’agit d’un faux débat : « Il n’est pas réellement question de financer mais de redistribuer. Il est possible d’allouer ce revenu sous forme d’un impôt négatif, déduit de l’impôt classique. » C’est d’ailleurs la solution proposée par le docteur en économie, pour une application au cas de la France, dans le livre Liber, un revenu de liberté pour tous, qu’il a coécrit avec Gaspard Koenig, écrivain et dirigeant du think tank Génération Libre. Le principe est simple, un impôt de 23 % est prélevé sur chaque salaire, sous le nom de Libertaxe. A l’inverse, le Liber, d’environ 450€ hors logement (225€ par enfant) est versé à chaque citoyen sans condition et remplace l’intégralité des systèmes d’allocations existants. « On met en place un mécanisme unique, simple, que tout le monde comprend », explique son concepteur. Si l’impôt est plus élevé que le Liber, l’individu règle la différence au Trésor Public et inversement. D’autres économistes, tel Bernard Friot, professeur émérite à l’Université de Nanterre, estiment que cette solution n’est pas viable : « Individuellement, ce revenu n’est pas suffisant. De plus, à l’échelle macro-économique, cette distribution ne permet pas d’assumer toute la production de transports, d’énergie, de culture, nécessaire à la vie sociale. On ne se libère ainsi pas de la production capitaliste, car c’est la taxation de cette dernière qui finance le mécanisme. »

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/ Illustration Guimia

Des expérimentations diverses

Il est en tout cas évident qu’un mécanisme comme le revenu de base ne peut fonctionner que si la majeure partie de la population continue à travailler, finançant ainsi la redistribution. C’est ce que dénonce Bernard Friot qui y voit une « roue de secours du capitalisme », comme il l’a expliqué dans l’émission de Frédéric Taddeï Ce soir ou jamais. Il reproche à cette mesure d’être prônée par « une classe dirigeante aux abois qui n’est plus capable de produire ce que nous attendons et qui nous fait taire en nous donnant x euros par mois. ». Son souhait est une mesure beaucoup plus radicale, le salaire à vie (voir par ailleurs), destinée à « remettre en cause la propriété lucrative ». Bernard Friot, convaincu qu’il est nécessaire de « détacher le salaire de l’emploi ». partage tout de même un point de vue idéologique avec les défenseurs du revenu de base, comme l’explique Baptiste Mylondo : « A l’évidence, il y a d’autres activités, non salariées, qui peuvent être source de reconnaissance sociale. La vie ne devrait pas tourner uniquement autour de l’emploi ».
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[Découvrez l’intégralité de cet article dans le numéro double 3 + 4 de Barré]

Jean-Philippe Peyrache
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« C’est une mesure de transformation sociale et d’éradication de la pauvreté. »
L’Iran est actuellement le seul pays à disposer d’un système de revenu de base à l’échelle nationale. En 2012, le gouvernement constate que le mécanisme de subventionnement des produits de première nécessité, mis en place pour permettre aux plus démunis d’accéder facilement aux denrées essentielles, entraîne des dérives. Les frontaliers profitent en effet des prix extrêmement bas. Pour contrer cette tendance, il est décidé de rétablir les prix à leur juste niveau, tout en proposant un revenu de base sur simple inscription. Un an après la mise en place, 99 % de la population figurait sur les listes.

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