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Roter Stern : à Leipzig, les migrants ont leur équipe - Barré

Roter Stern : à Leipzig, les migrants ont leur équipe

Football & intégration

Roter Stern : à Leipzig, les migrants ont leur équipe

Qu’est-ce qu’un Stéphanois fait en premier lieu lorsqu’il s’expatrie dans un pays étranger ? Il se cherche un club de foot, pardi ! Et bim, v’là-t-y pas qu’il se retrouve dans une équipe pour le moins atypique, où la majorité des joueurs sont des migrants. L’occasion de découvrir les rouages de ce club de Leipzig qu’est le Roter Stern.

lundi 22 janvier 2018 (Maz)

/ Illustration Ruoyi Jin

Oh, bien sûr, on l’avait pourtant prévenu : « Mais t’es fou ? Pourquoi tu pars en Allemagne ? Ils mangent des saucisses au petit-dej’ ! Ils nous ont volé la coupe en 76 et ils ont fait pleurer Rocheteau ! Ils mettent des chaussettes quand ils portent des sandales ! Ils nous ont tout massacré Battiston ! Et ils mettent le vin rouge au frigo ! ». Bizarrement, ces sages conseils n’auront eu aucun effet sur Jérémy qui décide de déménager à Leipzig, grande ville de l’ex-R.D.A., à une heure et quart de train de Berlin. Cette proximité d’une des villes les plus à la mode du moment suscite ces dernières années l’arrivée d’une population jeune, à la recherche d’un cadre de vie culturellement riche, évitant les loyers de plus en plus élevés de la capitale. Et Leipzig présente aussi la particularité d’être actuellement la seule ville de l’ex-R.D.A. à avoir un club jouant au plus haut niveau du football allemand : le R.B. Leipzig, qui a accédé à la première division la saison dernière et caracole même en tête de la Bundesliga au moment où j’écris ces lignes, devant les cadors habituels du Bayern Munich ou de Dortmund ! Pour autant, voilà un club qui représente à merveille les dérives du football moderne, où le business prend le pas sur toute forme de tradition, d’attachement et d’identité sociale et culturelle. Créé de toutes pièces par la firme Red Bull en 2009, il doit en grande partie son ascension fulgurante aux millions d’euros investis par cette entreprise toujours à la recherche de visibilité agressive. Un club « hors-sol », sans racines, qui séduit les amateurs / consommateurs « d’équipes qui gagnent », à défaut de se targuer d’un soutien populaire démesuré. Mais ce « Red Bull Leipzig » n’est heureusement pas le seul acteur du ballon rond sur la ville…
Quand il parcoure les rues de Leipzig, Jérémy se rend rapidement compte que les graffitis sur les murs chantent les louanges de plusieurs autres entités : le Lokomotiv Leipzig, club historique, plusieurs fois vice-champion du championnat de RDA, vainqueur de la coupe à quatre reprises et s’étant fait connaître sur la scène européenne par plusieurs parcours intéressants. Problème : le « Lok » se trimballe depuis des années une bonne bande de hooligans marqués à l’extrême-droite. Si le Lok marine (haha !) dans l’équivalent boche de la quatrième division, le B.S.G. Chemie Leipzig est lui encore une division en dessous ! Il s’agit pourtant aussi d’un club à l’histoire riche (et qui a le bon goût de jouer en vert & blanc !), deux fois vainqueurs du championnat et de la coupe de l’Allemagne de l’Est. Une histoire certes intéressante, mais surtout super compliquée : comme nombres de clubs traditionnels de l’Allemagne de l’Est, le passage à l’économie de marché s’est fait dans la douleur. Et vas-y que je dépose le bilan, puis que je change de nom et que je fais faillite et que je rechange à nouveau de nom, etc... Des ultras excédés vont reprendre une partie du club et lui redonner son patronyme historique en 2009 et le club remonte petit à petit les échelons depuis, bénéficiant toujours d’un soutien populaire plutôt correct vu le niveau des enjeux sportifs (5 000 personnes au stade lors d’un match récent). Mais ce qui va interpeller Jérémy, c’est que le quartier où il habite est littéralement recouvert de stickers, affiches et tags à la gloire du R.S.L. 99. Quid ? Le quartier en question, Connewitz, est connu pour être le quartier « de gauche » de la ville : « C’est un quartier ultra politisé où les punks, les crusts, les artistes, les habitants historiques et les nouveaux arrivants cohabitent sans problèmes, avec un grand respect mutuel. Le DIY est partout ! Les squats, les concerts, la bière, le foot, les tagueurs, les antifas : tout ça fait ici bon ménage ». Et le Roter Stern 99 est tout simplement le club de Connewitz, au sud de Leipzig.

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/ Illustration Ruoyi Jin

Un club « alternatif » à Leipzig

Pour peu que vous vous intéressiez un tantinet au foutchebôl, vous connaissez obligatoirement l’existence du F.C. Sankt Pauli… et même si vous n’avez rien à secouer du ballon rond, vous avez forcément déjà croisé une personne arborant fièrement un t-shirt de ce club. Une personne qui n’en avait peut-être rien à foutre du foot elle aussi, ceci-dit. Mais siiiii, tu sais : ce club emblématique issu d’un quartier turbulent d’Hambourg, que tous les punks et anars du monde entier semblent aimer parce que, parce que… euh et ben, parce qu’ils font des jolis t-shirts ? Haha, allez, arrêtons les médisances : Sankt Pauli, c’est LE club « alternatif » par excellence, ayant motivé une émulation certaine et pas seulement en Allemagne. Son influence va donc atteindre Leipzig et en 1999, de jeunes punks et anciens fans du Chemie se décident à leur tour : ils jouaient jusqu’à présent au Blau Weiss Leipzig et, se retrouvant interdits de promotion (le club ayant déjà une équipe dans la division supérieure), ils vont créer un club de foot antifasciste et alternatif dans leur ville, dans leur quartier.
Lorsque Jérémy entreprend de rejoindre un club pour taper dans la balle, il va tout d’abord jeter son dévolu sur le Chemie, mais las, leur stade est à l’autre bout de la ville, et puis : « Avec mes 34 ans, je veux bien me réinvestir un peu dans une équipe mais même s’il me semble avoir un niveau de foot encore satisfaisant, il est important pour moi que l’ambiance soit bonne. Me taper quatre entraînements par semaine pour jouer trente minutes le dimanche dans un gros club ne m’intéresse pas ». Décision est donc prise de trouver ce R.S.L. 99 : « C’est bien beau les tags de partout, mais je n’ai toujours pas vu un seul terrain de foot aux alentours ! Je décide de marcher tout droit en direction du sud du quartier, ne sachant absolument pas ce que j’allais trouver. Au bout d’une demi-heure je me retrouve dans un quartier assez paisible et résidentiel et sur la gauche de la rue, un amas de tags sur les murs attire mon attention. A l’intérieur d’une petite cour partagée avec un garage automobile, j’aperçois quelque chose ressemblant à des vestiaires de foot. Les peintures sur les murs ne m’avaient pas trompé : j’ai enfin trouvé le club de Roter Stern et son stade, le “Sportpark Dölitz”. J’entends du bruit à l’intérieur du local, prends mon courage à deux mains et rentre. Là je tombe sur un gars de 35 /40 ans, iroquoise verte sur la tête, blouson en cuir patché : tout l’attirail du bon vieux keupon. Avec bien entendu une bière à la main ! Il s’agit de Tom, figure emblématique du club, préparateur de bouffe vegan, DJ punk pendant les matchs, organisateur de concerts… il s’occupe aussi du bar et, souvent, de la bonne ambiance autour du barbecue ! Bref, un de ces gaziers toujours fidèles au poste dont un club a besoin pour faire le travail de l’ombre ». Jérémy va s’intégrer on ne peut plus rapidement, puisqu’il est convié à l’entraînement de l’équipe 4 du club le soir même. Pour lui, c’est parfait, enfin une occasion de sortir de chez lui (et des leçons d’Allemand), et comme il désirait s’investir dans la vie de son quartier, le R.S.L. est vraiment idéal. Un club de gauche, à l’état d’esprit punk revendiqué qui n’est distant que de trois arrêts de tram : que demander de plus ? « En arrivant au premier entraînement, je me rends donc compte que Tom m’a donné les heures d’entraînement de l’équipe 4 qui est une équipe toute neuve, faisant partie d’un projet avec les réfugiés. Je me retrouve donc à taper le ballon avec des Syriens, des Libyens, des mecs de Somalie, d’autres d’Érythrée ; il y a aussi un Marocain, un Tunisien et un mec de Gambie et encore pas mal d’autres nationalités (je crois qu’il y a 14 langues différentes dans notre équipe). Ce projet, à la base, est d’essayer de mettre à disposition une structure saine et viable pour qu’ils ne restent pas au camp à rien branler de la journée, qu’ils puissent essayer de s’intégrer via le foot qui est le sport universel par excellence. Les migrants sont aidés financièrement, ils ne paient pas de licence et ont l’équipement fourni, une aide juridique leur est également proposée. »

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Jérémy arbore son beau maillot du Roter Stern. Photo DR

Le Roter Stern intègre les jeunes réfugiés dans ses équipes jeunes traditionnelles mais les adultes jouent pour cette équipe spécifique. Le fonctionnement interne est par contre identique à celui qu’on rencontre dans n’importe quel club de foot un peu sérieux : respect absolu des règles et des consignes internes. Et même plus : en raison d’un nombre croissant de personnes postulant pour l’équipe 4 ne pouvant toutes être acceptées, celle-ci a un devoir d’exemplarité supérieur à une équipe lambda. Alors peu importe les coutumes différentes suivant ses membres, elle a obligation à tout donner sur le terrain et à être irréprochable dans le vestiaire. « Que ce soit pour les réfugiés comme pour moi, ça nous sort un peu de notre statut d’étranger. Quand on est sur le terrain, on est joueur de foot et on pense plus au reste ! Et ça nous fait rencontrer du monde ce qui n’est vraiment pas négligeable. Car quand tu ne parles pas un mot de teuton, même si ton quartier est super ouvert et super cool, il faut pas croire, c’est quand même dur de se faire des potes au début... Au tout début c’était un vrai soulagement d’aller au foot et de pouvoir rencontrer des gens, de leur parler. »

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/ Illustration Ruoyi Jin

Politique et équipe de potes

Attention, on ne parle pas ici de « football de loisir », type F.S.G.T. ou U.F.O.L.E.P. en France, mais bien d’un club affilié à la Fédération Allemande de Football. « L’équipe 4 du R.S.L. joue au dernier niveau de District car l’équipe vient d’être créée et qu’il faut démarrer tout en bas de l’échelle. Quelques équipes jouent quand même bien au football, ce sont souvent les réserves des gros clubs de la ville tel que le Leipzig International, la 2ème équipe du Lok ou certains clubs historiques de la ville comme le FC Thelka. On va pas se mentir, y’a deux trois gaziers par équipe qui tripotent mais la plupart du temps, on tombe sur du bon vieux stéréotype de l’Allemand grand, blond, costaud, qui fait pas trop dans la dentelle. Les trois quarts du temps, physiquement parlant, on se fait bouger : les gars en face sont de jolis bébés ! Par contre, techniquement, niveau agilité et rapidité, on les démonte ! Les joueurs du Maghreb ou les Africains qui jouent dans mon équipe sont rapides et techniques, mais on est parfois un peu frêles. C’est la raison pour laquelle les entraîneurs veulent vraiment qu’on adapte notre jeu pour ne pas se faire arracher les jambes : moins on dribble, plus on fait de passes, moins on aura de chance de se blesser. Quand on rentre sur le terrain la différence de stature physique est souvent vraiment saisissante. »
On peut bien évidemment se poser la question de la façon dont les migrants vivent le fait de jouer dans un tel club, avec une identité politique aussi marquée ? « C’est une question dont on parle souvent avec mon entraîneur, on se demande des fois si ce qui est fait avec eux porte vraiment ses fruits... Il peut arriver qu’on ait pas le sentiment d’avoir un quelconque retour de manivelle de leur part. Mais ils sont tellement à mille lieux de ce que nous pouvons vivre en Europe… et la différence de culture qui nous sépare peut nous donner ce ressenti. C’est une question complexe mais je pense sincèrement que les réfugiés sont contents de voir qu’une structure se bat pour eux. Ce sont des mecs avec qui c’est pas toujours facile de discuter : ils sont là car ils ont fui l’armée dans leur pays, ou bien ils ont été blessés lors de bombardements, ou alors ils ont été obligés de fuir leur pays à cause de la corruption.
Chaque mec a son histoire et c’est souvent compliqué d’aborder ces sujets sensibles dans le vestiaire. Ashraf, notre gardien de but, a trouvé le club par l’intermédiaire d’un ami et ce qu’il lui a plu c’est le fait qu’en intégrant cette équipe 4, il pouvait rencontrer des gens dans la même situation que lui.

RESTE À DÉCOUVRIR 60% DE L’ARTICLE [Découvrez l’intégralité de cet article dans le numéro 6 de Barré]

Maz
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« Je me retrouve à taper le ballon avec des Syriens, des Libyens, des mecs de Somalie, d'autres d'Érythrée... Je crois qu'il y a 14 langues différentes dans notre équipe. »
« Quand l'équipe 4 joue à l'extérieur dans des clubs à réputation nazie, il y a toujours des gars qui viennent nous encourager. »

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