https://www.traditionrolex.com/42
Le président Compaoré a pris un coup de Balai citoyen - Barré

Le président Compaoré a pris un coup de Balai citoyen

Insurrection populaire au Burkina Faso

Le président Compaoré a pris un coup de Balai citoyen

Au pouvoir depuis 1987, le président du Burkina-Faso, Blaise Compaoré, avait pour projet de modifier l’article 37 de la constitution limitant le nombre des mandats. L’objectif était de conserver sa place à la tête du pays lors des prochaines élections, en 2015. Face à cette éventualité, un mouvement de contestation s’est formé sous le nom de Balai citoyen.

mercredi 4 mars 2015 (Koffi Ametepe)

Pendant les manifestations photo : DR

« Le Balai citoyen ou le pouvoir des brindilles », tel aurait pu être le titre du film du tsunami de contestations populaires qui a fait plier le régime de l’ex-président burkinabè. Blaise Compaoré est au pouvoir depuis 1987, à la suite de l’assassinat du leader charismatique et père de la révolution burkinabè d’août 1983, Thomas Sankara (également surnommé le Che Africain).
Blaise Compaoré s’est forgé à la fallacieuse idée qu’il était devenu si indispensable qu’il fallait tailler la constitution du pays à sa mesure. Il voulait régner à vie. Ce qui a eu pour conséquence de rebuter une jeunesse burkinabè qui a fini par trouver le remède à cette boulimie du pouvoir du président : le bien nommé mouvement Balai citoyen.
Dans ce pays où la saleté physique charriée par des tonnes de poussières rivalise quotidiennement avec des ordures politiques faites de corruption, de crimes économiques et de sang, de bavures policières et autres violences gratuites, le balai prend tout son sens. Il s’agit d’un instrument aussi implacable qu’impersonnel qui sert à remettre de l’ordre dans l’environnement. Si tout le monde est convaincu de la nécessité de nettoyer les écuries, la plupart des jeunes n’osaient pas jusque-là s’attaquer à un système politique solidement installé depuis 27 ans.
Le désormais ex-président burkinabè Blaise Compaoré semblait avoir envoûté son peuple. Du moins jusqu’à ce que naisse le mouvement le Balai citoyen avec un premier objectif mis en musique : « Ce président-là, il faut qu’il parte et il partira. »

JPEG - 3.8 Mo
/ Illustration Yetiz.

« Notre nombre est notre force. »

Ce qui a séduit les jeunes burkinabè dans le symbole et la gestuelle du balai, c’est moins sa capacité à nettoyer les écuries, qu’à réunir en une seule force des brindilles. Ici, la comparaison est très forte. Car, laissée à elle-même, une brindille ne représente rien et ne peut pas grand-chose. Elle peut être écrasée facilement. Mais lorsque plusieurs ramures se mettent ensemble pour former un balai, l’instrument devient impitoyable. De la même façon, la perte d’une et surtout de plusieurs brindilles réduit nécessairement la capacité intrinsèque du balai. D’où le slogan du mouvement : « Notre nombre est notre force. »
Ceci explique l’objectif et la vocation de cette organisation de la société civile lancée officiellement en 2011 à la suite des Révolutions arabes qui ont balayé la dictature de Hosni Moubarak en Égypte et celle de Ben Ali en Tunisie. Elle s’est également inspirée du mouvement sénégalais Y’en a marre, un groupe de contestation pacifique créé la même année par un collectif de rappeurs et de journalistes.
A l’origine du Balai citoyen, la convergence d’idées entre deux artistes burkinabè engagés dans un élan d’éveil de conscience par le Rap. Serge Bambara, alias Smockey, est bien connu au Pays des Hommes intègres pour ne pas faire dans la dentelle. Karim Sama, alias Sam’K le Jah, est un animateur radio qui s’est servi des « paroles fortes » distillées par des « reggeamen » engagés pour sortir la jeunesse burkinabè de son sommeil.
Les deux leaders du mouvement ont décidé d’unir leurs forces en s’alliant à d’autres jeunes. Des cadres de l’administration publique et privée n’ont pas tardé à apporter leur soutien et même à les rejoindre à l’instar de l’avocat Maître Guy Hervé Kam aujourd’hui porte-parole du Balai citoyen.
Il ne s’agit donc pas seulement d’un groupe de jeunes qui se sont ligués pour contester le pouvoir établi et la gestion des affaires publiques, mais d’un mouvement qui s’est progressivement organisé autour d’un objectif : « Nous voulons jouer un rôle de veille citoyenne et de sentinelle. » Un rôle nouveau dans un pays où le contre-pouvoir faisait gravement défaut et dans lequel les jeunes étaient malléables et corvéables à souhait.
Pour inverser cette situation peu favorable à la démocratie, le Balai citoyen a donc entrepris d’organiser les jeunes dans les quartiers, dans les villes et dans la diaspora. Son mode opératoire est d’abord le partage de l’information à travers les réseaux sociaux, des concerts, des émissions radios, des meetings... Lorsqu’ils se sont convaincus de leur force et surtout de leur capacité à porter un coup fatal au système Blaise Compaoré, ils n’ont pas hésité à se mettre aux côtés d’autres forces sociales et politiques. Ainsi, le mouvement a participé activement aux différentes marches et regroupements géants qui ont préparé les esprits à l’insurrection populaire de fin octobre 2014.
Au cours de ces manifestations, le Balai citoyen s’est fait un point d’honneur d’organiser des animations musicales, mais aussi de prendre la parole pour porter son message de prise de conscience aux jeunes. L’apothéose, ce fût sans conteste l’immense meeting du 31 mai 2014 au cours duquel le mouvement a réalisé l’exploit de regrouper une foule de plus de 30 000 personnes dans le plus grand stade de Ouagadougou, la capitale du pays. Les responsables de l’organisation acquièrent leur lettre de noblesse et deviennent alors incontournables dans la fermentation de la conscience populaire qui a fini par faire plier le régime de Blaise Compaoré.

JPEG - 160.9 ko
L’Assemblée Nationale a été incendiée durant l’insurrection. / Photo Cerise Assadi-Rochet.

Smockey : « Au début, on m’a traité de tous les noms. »

Au début, très peu de gens les prenait au sérieux lorsqu’ils demandaient déjà le départ du désormais ex-président. Le rappeur Smockey n’a pas oublié : « Je me rappelle en 2011, lors d’une manifestation, lorsque j’étais avec ma pancarte sur laquelle était écrit ’’Blaise dégage’’. On m’a traité de tous les noms. Certains me disaient, ’’comment un artiste peut se permettre de tenir de tels propos ?’’. Un journal a même titré : ’’Smockey, artiste engagé aux vulgaires hypocrites ’’. En revanche je n’ai eu que des félicitations de l’opposition, notamment de Maître Bénéwendé Sankara. »
Depuis le départ de Blaise Compaoré, le vent a bien tourné : « Aujourd’hui, je suis surpris de voir des personnes s’approprier la victoire d’avoir fait dégager le président Blaise Compaoré. Ils vont beaucoup plus loin que moi à l’époque. Tout compte fait, le peuple doit prendre ses responsabilités en ayant un regard sur la gestion de la chose publique. Et plus aucun chef d’État ne doit faire une heure de plus au pouvoir à la fin de son mandat ».
Maintenant que l’ancien régime a plié devant la pression de la rue et que Blaise Compaoré a quitté le pouvoir pratiquement une année avant terme, l’heure n’est pas au rangement du Balai citoyen dans les couloirs. Bien au contraire. Les responsables du mouvement ont agréablement surpris leurs compatriotes en renonçant aux différents postes qui leurs ont été proposés à savoir ceux de ministres et de parlementaires pour la période de transition.
Une réaction qu’ils justifient par la nécessité de préserver leur indépendance, mais aussi et surtout de rester fidèle à leur « rôle de veille citoyenne, de sentinelle ». Pour les artistes qui siègent au bureau exécutif de l’organisation, l’objectif de leur participation n’est pas de récolter des dividendes sociales et politiques, mais de se mettre au service d’une cause.

« Les artistes sont des outils, il faut les exploiter dans le noble sens du terme », précise Smockey.

JPEG - 2.4 Mo
/ Photo Cerise Assadi-Rochet.

Dans cette logique, le rappeur a abandonné un temps son micro pour monter sur les planches. En 2012, il a monté un spectacle prémonitoire sur la chute de l’ex-président Blaise Compaoré, Nuit blanche à Ouagadougou : un rêve qui a fini par se réaliser. C’est avec cette création qu’il a eu l’occasion de jouer au Burkina et qu’il compte désormais continuer la lutte pour l’assainissement de la conscience des jeunes africains dans d’autres capitales du continent.
Dans sa besace d’artiste engagé, il a aussi trois albums aux textes percutants pour mobiliser en vue de poursuivre le « grand nettoyage » entrepris par le Balai citoyen. Quant à son compère Sams’K Le Jah, il a repris « son service de conscientisation par le reggae », sur une des plus célèbres radios de la capitale burkinabè, radio Oméga FM. Ce média local s’est d’ailleurs illustré comme le champion de l’information en temps réel lors des manifestations d’octobre 2014. Sams’K Le Jah n’arrêtera pas pour autant de sillonner les villes et les campagnes pour animer des concerts et des conférences au profit des jeunes de son pays.
Aujourd’hui, le Balai citoyen ambitionne de devenir une véritable tour de contrôle de la gestion des affaires publiques au Pays des hommes intègres. Pour cela, il envisage de mieux organiser ses troupes sur la base d’un « projet de société » avec comme action-phare l’éducation des masses. En attendant de voir les fruits de ce vaste programme, les ci-bals et les ci-belles - comme on appelle les membres du mouvement - auront prouvé que pour peu que les brindilles acceptent d’unir leurs forces, elles ont un pouvoir de nettoyage implacable contre toute sorte d’insalubrité politique.

Dans les arcanes du mouvement populaire

Ouagadougou, le 30 octobre 2014. Dans la capitale du Burkina Faso réputée pour être une ville tranquille, des jeunes, majoritairement membres du mouvement le Balai citoyen, manifestants aux mains nues, réalisent un exploit inimaginable dans ce pays où l’on a l’habitude de subir la politique. Ce jour-là, le parlement, acquis à la cause du président Blaise Compaoré au pouvoir depuis 27 ans, devait faire voter une loi pour permettre à celui-ci de rester au pouvoir ad vitam æternam. Cette fois-ci la pilule passe mal. Elle est vomie en même temps que le timonier lui-même.

[Retrouvez l’intégralité de cet article dans le premier numéro de Barré]

Koffi Ametepe
tweet this article
Ouagadougou, le 30 octobre 2014. Ce jour-là le parlement burkinabè, acquis à la cause du président Blaise Compaoré au pouvoir depuis 27 ans, devait faire voter une loi lui permettant de rester au pouvoir ad vitam aeternam. Cette fois-ci la pilule passe mal. Elle est vomie en même temps que le timonier lui-même. De jeunes ouagalais, majoritairement membres du mouvement Le Balai citoyen, ont lancé une insurrection populaire. Un exploit inimaginable dans ce pays où l’on a l’habitude de subir la politique.
  • Ouagadougou, le jour de l'insurrection populaire.

    Ouagadougou, le jour de l’insurrection populaire.

    photos : Photo Koffi Amétépé.
  • La maison du frère du président, François Compaoré, a notamment été (...)

    La maison du frère du président, François Compaoré, a notamment été pillée.

    photos : Photo Koffi Amétépé.
  • L'Assemblée Nationale a été dévastée par un incendie.

    L’Assemblée Nationale a été dévastée par un incendie.

    photos : Photo Cerise Assadi-Rochet.
  • Devant l'hôtel de l'Indépendance, à Ougadougou, au lendemain de (...)

    Devant l’hôtel de l’Indépendance, à Ougadougou, au lendemain de l’insurrection.

    photos : Photo Cerise Assadi-Rochet.
  • Devant l'hôtel de l'Indépendance.

    Devant l’hôtel de l’Indépendance.

    photos : Photo Cerise Assadi-Rochet.
Blaise, le faux-frère de Sankara. Blaise Compaoré et Thomas Sankara ont lancé ensemble la révolution démocratique et populaire du 4 août 1983. Sankara prend alors les rênes du pouvoir. Le jeudi 15 octobre 1987 Sankara est assassiné. Blaise Compaoré est soupçonné d'être le commanditaire de l'assassinat de son "frère d'arme" qui lui a permis de prendre sa place à la tête du Burkina-Faso. Il a d'abord dit que le pouvoir ne l'intéressait pas, il y est finalement resté durant 27 ans. Clin d’œil du destin : c'est aussi un jeudi du mois d'octobre que la rue lui a donné un coup de Balai citoyen.

https://www.traditionrolex.com/42
https://www.traditionrolex.com/42