Ivan Brun : « La bande dessinée est une malédiction sociale »

Ivan Brun : « La bande dessinée est une malédiction sociale »

Ivan Brun est un peintre et un dessinateur de bande dessinée pour le moins atypique. Dans ses albums, il parle de la vie, la vraie, en montrant avant tout son côté sombre. Un style particulier qui lui a permis de gagner un succès d’estime, de signer chez Glénat le temps de deux albums, mais rarement d’être reconnu à sa juste valeur. Rencontre avec ce dessinateur, peintre et musicien pour une plongée dans le monde cruel de la bande dessinée indépendante, avant de découvrir un extrait de sa prochaine sortie : Prof Fall.

samedi 2 janvier 2016 (Clément Goutelle)

Pour Ivan Brun tout a commencé par la bande dessinée : « Ça remonte à l’adolescence. » Mais le Punk rock et le Hardcore ne sont pas loin derrière. Au lycée, il dessine dans différents fanzines et joue en parallèle dans Ténia, « un mélange pourri de Métal, de Punk et de Hardcore », avant de créer Care Bears. Il fera ensuite le tour du monde ou presque avec ses groupes de Punk hardcore : Vömit För Breakfast et Coche Bomba. Avec ces derniers, il a notamment tourné en Amérique du sud et en Asie du sud-est : « On est plus écoutés à l’étranger qu’en France. On a des textes dans différentes langues avec une musique assez minimaliste. La musique c’est avant tout un moyen de communication. » Avec lui, on pourrait parler de musique pendant des heures et sur des pages et des pages, mais si nous sommes allés rencontrer Ivan Brun, dans son antre à Lyon, c’est avant tout pour parler de bande dessinée.

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Fabuleux destin. / Ivan Brun
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Fabuleux destin. / Ivan Brun

« Trop indé et trop trash pour les gros éditeurs. »

En 1995, Ivan Brun sort sa première bande dessinée, Lieux Communs, en auto-édition à 1 000 exemplaires : « La BD indépendante était en plein essor mais le distributeur nous a plantés. Une partie du stock a été perdue et on n’a jamais été payés. » Il est sorti de cette première expérience dans le monde de l’auto-édition avec un goût amer : « Ça m’a un peu blasé et ça ne m’a pas donné envie de retenter l’expérience. En tout cas, ça ne m’a pas non plus ouvert de portes. » Avant cela, il avait réalisé un premier album intitulé Chongs en 1992-1993 pour un fanzine : « Ce fut un bide total. Ni les éditeurs ni les fanzines n’en avait voulu. C’était sur un gang dans un pays du tiers monde qui braque la caisse d’un centre commercial. Le sujet était trop décalé. A l’époque, les favelas, ça n’intéressait pas grand monde. »

Diplômé de l’école des Beaux-Arts de Lyon en 1994, son créneau est déjà le dessin réaliste mêlé à des thèmes politiques. Ses bandes dessinées mettent parfois mal à l’aise, sont souvent choquantes mais sont toujours riches de sens et de créativité. Elles allaient en tout cas à l’encontre du courant de l’époque : « Ce qui cartonnait, c’était les récits autobiographiques. J’avais le cul entre deux chaises. Mes sujets politiques n’intéressaient pas forcément les indés et mon trait était trop connoté underground et ‘‘trash’’ pour l’édition commerciale. »

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Illustration d’Ivan Brun pour le groupe Coche Bomba. / Ivan Brun

De la bande dessinée à la peinture

Après des premiers pas mitigés dans le monde de la bande dessinée, il se consacre à la peinture : « Mes études aux Beaux-Arts de Lyon (1989 à 1994) m’ont ouvert d’autres horizons, d’autres pratiques. J’ai été confronté à d’autres approches artistiques et notamment la peinture qui me semblait jusque-là inaccessible. Je me disais que ça demandait un haut niveau, un sacré savoir-faire mais j’ai surmonté ça. » Sa participation au collectif Organic Comix lui a permis notamment de briser cette barrière en réalisant des œuvres collectives grandeur nature : « Au début des années 90, on faisait des comic strips géants, des performances en public dans des festivals et des salons. On réalisait des fresques d’1,5 mètre de haut sur 10 mètres de long. Une fois que tu es lancé, tu as deux heures pour faire ton truc. Tu es devant du monde et tu n’as pas le temps de tergiverser. Ça m’a décoincé. J’ai vu que j’en étais capable. » Il réalise en parallèle de nombreuses œuvres en noir et blanc sur du carton. Il expose alors dans la France entière avec un concept original : il demande aux lieux d’exposition de récupérer des cartons et peint toute l’exposition en une semaine. Il retrouve l’urgence des performances d’Organic Comix : « En une semaine, il fallait faire un grand nombre de pièces. Il fallait travailler dans un délai rapide et ça donnait des résultats surprenants. J’aimais bien ça. » Mais la démarche ne s’arrêtait pas à la simple performance : « L’idée était de faire des œuvres jetables un peu pour énerver les artistes. C’est un contre-pied à Duchamp qui va te mettre un urinoir à l’envers dans un musée, ce qui multipliera sa valeur. » Selon le format, il vendait les pièces entre 20 et 40 euros, le prix d’un poster, avec l’objectif de dévaluer le travail artistique : « Intrinsèquement, une œuvre n’a aucune valeur. »

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Ivan Brun. / photo Keida

L’Écho des Savanes et deux albums pour un succès d’estime

Après s’être consacré à la peinture durant quelques années, il revient à la bande dessinée : « Je m’y suis remis à fond à partir des années 2000. » En 2004, il sort Otaku en collaboration avec le scénariste Lionel Tran, chez Les Requins Marteaux. Durant cette période, son talent sera reconnu au-delà des frontières : « J’ai publié des histoires courtes dans la presse, dans la revue Blue en Italie et dans El Vibora1. En parallèle je publiais aussi des BD pornos, du Hentaï. Mais ça c’était un boulot alimentaire. » Ses histoires courtes seront rassemblées dans un recueil nommé Lowlife, sorti en 2005 chez Tanibis. Il publiera dans l’Écho des Savanes de 2005 à 2007, jusqu’à ce qu’Albin Michel décide de se retirer de la bande dessinée et de revendre le magazine par la même occasion. En 2007, Glénat rachète le fond de l’Écho des Savanes, et crée Drugstore. C’est sous ce nouveau label que sortira No Comment, un recueil des récits muets que publiait Ivan Brun dans l’Écho des Savanes. Bien que relatif, le succès est au rendez-vous avec 4 000 exemplaires écoulés et des éditions aux Etats-Unis, en Espagne et en Pologne. No Comment retient l’attention et fait partie de la sélection officielle du Festival d’Angoulême de 2009. Ce succès d’estime sera de courte durée car, en parallèle, le directeur en chef de la nouvelle équipe de l’Écho des Savanes n’apprécie guère le travail du dessinateur lyonnais et fait donc très peu appel à ses services : « Il ne comprenait pas mon système avec les pictogrammes. Je crois que ça ne lui parlait pas, tout simplement. » Glénat sort tout de même un deuxième recueil nommé War Songs, en 2010, toujours sous son label Drugstore. Si l’album est à nouveau retenu dans la sélection officielle du festival d’Angoulême de 2011, les ventes ne seront pas aussi bonnes. Résultat : l’aventure avec Glénat s’arrête là.

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Une planche de Prof Fall. / Ivan Brun

« Proposer un regard sur le monde »

Déçu, Ivan Brun n’a plus rien publié depuis. Il n’a pas tout abandonné pour autant et s’apprête à sortir un nouvel album. Il travaille depuis deux ans sur une nouvelle bande dessinée, Prof Fall, d’après un scénario de Tristan Perreton (qui est accessoirement le bassiste du groupe NED) : « Ça parle de magie noire et de différents trafics entre Lyon et l’Afrique. C’est un polar fantastique un peu barré, genre thriller. Les thèmes abordés et l’atmosphère du récit étaient assez proches de mon univers. Je me suis retrouvé là-dedans. » Cette bande-dessinée de 160 pages devrait être éditée chez Tanibis : « C’est un retour à la case indé. Il n’y a pas la même visibilité que chez un gros éditeur mais ton travail est mieux défendu. »
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[Découvrez l’intégralité de cet article dans le deuxième numéro de Barré]

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La double-page d’introduction de la version papier de l’article sur Ivan Brun. A lire dans le Barré n°2 ! / Barré mag
Clément Goutelle
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« L’idée est de proposer un regard sur le monde. »
  • Exposition à Toulouse en 2003

    Exposition à Toulouse en 2003

    photos : Ivan Brun
  • Exposition à la fanzinothèque de Poitiers, en 2008.

    Exposition à la fanzinothèque de Poitiers, en 2008.

    photos : Ivan Brun
  • Exposition à la fanzinothèque de Poitiers, en 2008.

    Exposition à la fanzinothèque de Poitiers, en 2008.

    photos : Ivan Brun
  • Wasted, d'Ivan Brun.

    Wasted, d’Ivan Brun.

    photos : / Ivan Brun
« On me proposait d’exposer à droite et à gauche, mais ça demande un certain budget pour le transport des tableaux. Je me déplaçais pour une semaine de résidence. Je demandais de récupérer des cartons et je peignais l’expo sur place. L’idée était de faire des œuvres jetables un peu pour énerver les artistes. C’est un contre-pied à Duchamp qui va te mettre un urinoir à l’envers dans un musée, ce qui multipliera sa valeur. Intrinsèquement, une œuvre n’a aucune valeur.»