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Cometbus, un monument incontournable du fanzinat - Barré

Cometbus, un monument incontournable du fanzinat

Focus - Aaron Cometbus

Cometbus, un monument incontournable du fanzinat

Aaron Elliot a lancé Cometbus en 1981, soit quelques mois avant l’incontournable fanzine de San-Francisco, Maximumrocknroll. Il a rapidement pris le virage d’une écriture personnelle, s’épanchant davantage sur sa vie et son entourage. Longtemps écrit à la main, Cometbus a été diffusé jusqu’à 11 000 exemplaires. Découverte de 34 ans d’activisme à travers ce monument du fanzinat qu’est Aaron Cometbus.

lundi 27 avril 2015 (Stéphane Delevacque)

Même s’il est commun de mentionner Cometbus en tant que point de démarrage d’une certaine forme de littérature Underground, il est tout à fait légitime de lui accorder ce statut majeur dans le développement d’un aspect plus personnel et littéraire du monde du fanzinat avec tout ce que cela a pu avoir comme bons, mais aussi mauvais côtés par la suite.

- Aaron Cometbus : son premier fanzine à 13 ans.

Il faut remonter 34 ans en arrière, pour retrouver les premiers pas de Cometbus dans le fanzinat (N.D.L.R : publication indépendante réalisée par des passionnés, des « fans »). Aaron Elliot lance ses premiers fanzines en 1981, soit quelques mois avant Maximum’Rock’n’Roll (MRR). Âgé d’à peine 13 ans, Aaron lance son propre fanzine en collaboration avec Jesse, le futur chanteur d’Operation Ivy. Son fanzine a alors pour particularité de changer de nom et de format à chaque numéro, avant de se stabiliser autour du nom de Cometbus au milieu des années 80. Sa parution est alors plus ou moins régulière, de format A5, et avec un contenu essentiellement musical couvrant l’actualité de la scène locale avec des actualités, chroniques et interviews, le tout rédigé à la main.
En 1989, Aaron Cometbus (de son vrai nom Aaron Elliot) relance son fanzine après un break de 3 ans, essentiellement passé à sillonner une bonne partie des Etats-Unis en bus Greyhound et autres moyens de locomotion. Il revint avec une approche assez singulière par rapport à ce qui avait pu se faire jusqu’à présent dans la scène punk, en proposant un fanzine sans interviews, chroniques ou pubs. Ses premiers numéros publiés sous cette forme donnèrent le ton d’une nouvelle génération de fanzines que l’on commença à qualifier de « personnels » de par un contenu s’épanchant davantage sur la vie et l’entourage direct de ses rédacteurs. Ceux-ci se propagèrent comme une véritable trainée de poudre dès le début des années 90, jusqu’à en arriver à un stade de quasi-saturation dans les années 2000.
En plus d’avoir eu la particularité d’être entièrement rédigé à la main (ce qui conféra un côté encore plus intime à son contenu), Cometbus développa au fil des ans un style littéraire qui a quelque peu cassé les codes du genre. Il s’inscrivit ainsi dans une logique narrative plus proche de l’écriture spontanée et de la retranscription de ressentis et d’expériences personnelles, que de simples histoires de groupes et sorties de disques.

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La couverture de Last supper de Cometbus. Aaron Cometbus

- Flipside, le point de départ.

De nombreux fanzines similaires firent ensuite leur apparition, mêlant avec plus ou moins de brio tranches de vies et histoires parfois totalement anecdotiques, voire à caractère purement égocentrique. Aaron se défendit quelques années plus tard de cet héritage embarrassant en expliquant que le fait de s’être mis à parler de cafés, de voyages, de relations amoureuses ou de sa ville d’adoption qu’est Berkeley, n’avait jamais été fait dans un but narcissique. C’était avant tout un moyen de parler de sa communauté et de tout ce qui lui était cher, de valoriser leur importance et leur impact sur sa vie. Il raconta d’ailleurs que le point de départ de tout cela fut la suppression de la section « scene reports » (critiques de concert) que l’on trouvait dans Flipside, un autre fanzine. Les rédacteurs de Flipside se justifièrent en expliquant qu’il était ridicule qu’un journal ouvre ses pages à autant de correspondants basés en dehors de leur ville pour parler de ce qui se passait dans des régions très éloignées ; leur contenu perdait en sens. Il leur parut plus judicieux de les inciter à écrire pour des fanzines locaux, et laisser l’équipe de Flipside se concentrer sur ce qu’ils connaissaient le mieux, Los Angeles.
« J’avais trouvé très courageux de leur part de tirer un trait sur un des pans les plus populaires de leur publication en recommandant à leurs lecteurs de se référer directement à d’autres fanzines pour chercher les infos dont ils avaient besoin, allant même jusqu’à en dresser une longue liste en guise de conclusion », confie alors Aaron. Bien sûr, MaximumRock’n’Roll (alors en concurrence directe avec Flipside), en profita pour combler ce vide. Mais le message fit écho auprès du jeune Aaron qui avait parfaitement conscience de la richesse de sa propre ville et de sa scène locale.
Dans un premier temps il se mit ainsi à rédiger ses propres « scene report » au sein de Maximumrocknroll. Celles-ci avaient pour particularité de ne pas parler uniquement de groupes et de musique, mais aussi de tout ce qui se tramait dans la ville pouvant avoir un lien ou non avec la scène Punk. Il se mit à accorder de plus en plus de place à tout ce qui se passait en dehors de la scène, y parlant des gens bizarres qu’il rencontrait, des endroits pas chers où manger et s’habiller, et de toutes sortes de plans de débrouille lui venant à l’esprit. Aaron eut vraiment l’impression de toucher quelque chose d’intéressant à ce moment-là, mais ceci ne fut pas forcément du goût de Tim Yohannan de MRR qui décida progressivement de retirer de ses colonnes tout ce qui n’avait pas de lien direct avec la scène Punk.
Aaron quitta ainsi MRR et se mit à écrire pour Absolutely Zippo, autre fanzine local influent, rédigé par Robert Eggplant de Blatz, avant de relancer Cometbus en l’attaquant sous un angle beaucoup plus personnel. Comme il l’expliqua plus tard, son but fut d’ouvrir la scène punk à un plus large public que celui se limitant à son environnement musical, cherchant à en montrer l’envers du décor à travers ses aspects les plus humains. Il voulait surtout prouver que l’on pouvait continuer d’avancer dans la vie sans forcément quitter cet univers si particulier.

- L’essor spectaculaire d’un fanzine devenu ouvrage de référence.

Il avoua à cette même époque s’être rendu compte, par le biais des interviews qu’il avait réalisées, que ce qui l’intéressait le plus n’était pas d’entendre les groupes parler des disques qu’ils venaient de sortir ou des détails techniques de leurs tournées, mais plutôt de ce qu’ils avaient vu en voyageant, ou de ce qu’il y avait réellement derrière tel ou tel morceau au moment où ils l’avaient composé. Le fait de s’être mis à sillonner les États-Unis pour tenter de nouvelles expériences lui donna également l’envie de relater tout cela dans son fanzine, histoire de partager ses expériences avec le plus grand nombre. Son objectif principal fut alors de se focaliser sur la scène punk en tant que culture et mode de vie à part entière, et plus sous le simple aspect de son actualité musicale. C’est cette nouvelle approche qui permit à Cometbus de connaître un essor spectaculaire et de devenir une sorte d’ouvrage de référence.
Ce sont ces histoires de la vie de tous les jours dont ses numéros furent parsemés, pour ne pas dire remplis, qui firent un grande partie de son succès. Il a alors mis en scène toute une galerie de personnages inspirés de son entourage proche, en dépeignant avec beaucoup de justesse, d’humour et de tendresse, leurs luttes quotidiennes, leurs désillusions, névroses et autres aliénations.
Le point d’aboutissement de toutes ces histoires restera indiscutablement Double Duce, véritable petit roman sorti d’abord sous forme de fanzine, réédité ensuite en tant que livre à part entière sur Last Gasp. Aaron expliqua à plusieurs reprises qu’il lui avait toujours paru important de glorifier les mauvais moments de la vie, ces périodes difficiles à vivre que l’on arrive parfois à apprécier à leur juste valeur des années plus tard, avec un peu de recul. Ce sont les retranscriptions de tous ces moments particuliers qui constituèrent la trame générale de l’ensemble de ses histoires.

Ce qui me fait le plus plaisir ce n’est pas tant qu’on me dise aimer tel numéro ou telles histoires, mais plutôt quand quelqu’un se retrouve à me raconter une de mes propres nouvelles en se l’étant réappropriée comme s’il l’avait lui-même vécue », confie Aaron quant au succès de son fanzine.

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La une du hors série de Cometbus nommé I wish there was something that i could quit. Aaron Cometbus

- Cometbus : un objet étrange, rare et unique... tiré jusqu’à 11 000 exemplaires.

En dehors de la publication de ces tranches de vie, Aaron a toujours mis un point d’honneur à ouvrir Cometbus à toutes sortes de contributions extérieures. Ces numéros thématiques sont loin d’avoir été les plus populaires, et ont même parfois été de véritables fiascos. Toutefois Aaron les a toujours défendus en expliquant que c’était sa vision du fanzinat et une manière pour lui de conserver une certaine fraîcheur. Les auteurs rassemblés dans ces numéros collectifs sont pour la plupart des personnes que l’on retrouvait dans ses propres histoires, l’idée étant souvent de leur offrir la possibilité de publier des choses qu’ils n’auraient jamais sorties eux-mêmes, ou de proposer différents points de vus des mêmes faits. C’est ce qui lui parut la solution la plus viable pour que son fanzine ne s’enferme pas dans un style et puisse se renouveler continuellement.
Au fil des ans, Cometbus est ainsi devenu une sorte d’institution et surtout un des rares fanzines (pour ne pas dire le seul) distribué de façon totalement indépendante à pouvoir atteindre des chiffres de vente record avoisinant les 11 000 exemplaires. Son contenu bien sûr en est la principale raison, mais son prix volontairement bas y est également pour beaucoup, tout comme la façon très « D.I.Y. » dont sa diffusion a été gérée. Aaron expliqua qu’il lui a toujours paru important de faire en sorte que le prix de son fanzine reste aussi bas que possible de manière à le rendre accessible au plus grand nombre et ainsi susciter l’intérêt de lecteurs qu’il n’aurait pas forcément pu toucher autrement. De ce fait, il a toujours accordé une très grande importance à son aspect visuel, tentant de le rendre à la fois attractif et intriguant pour que des personnes tombant dessus par hasard soient tentées de l’acheter et le lire par simple curiosité :

J’essaie de lui donner un aspect suffisamment étrange pour que des lecteurs potentiels aient l’impression d’avoir mis la main sur quelque chose de rare et unique. Le revers de la médaille fut parfois de ne pas être lu avec autant de sérieux qu’une publication d’aspect plus classique. »

Un autre des points forts d’Aaron, et par extension Cometbus, est d’avoir fait en sorte de déposer ses publications dans le plus d’endroits possible. Il ciblait aussi bien les libraires et disquaires indépendants, que les boutiques de quartier susceptibles de le prendre en dépôt, allant du magasin de VHS d’occasion à la boutique de jouet, en passant par les quelques épiceries diffusant un peu de presse. Aussi incongrue qu’elle puisse paraître, sa démarche porta ses fruits. Ainsi, Aaron révéla à plusieurs reprises avoir écoulé entre 10 000 et 11 000 copies de Cometbus par ce biais. C’est ce qui lui permit de se faire un nom un peu partout à travers les États-Unis, et même à l’étranger (certaines de ses histoires furent traduites dans plusieurs langues).
Aaron se reconnaît chanceux d’arriver à vendre autant d’exemplaires, phénomène rare voire unique pour une publication diffusée de façon totalement indépendante sans réel appui des réseaux de distribution habituels.

Mes amis les plus proches me chambrent souvent en me disant que je fais mon propre malheur en essayant de prouver que l’on peut faire des choses à grande échelle tout en restant totalement indépendant, et en vendant mes publications à un prix aussi bas. Mais finalement, cette démarche jusqu’au-boutiste s’est avérée payante, et m’a même permis d’en tirer plus de profit qu’en étant édité par des maisons d’édition établies comme Last Gasp. »

[Découvrez l’intégralité de cet article dans le premier numéro de Barré]


Pour les non-anglophones désireux d’en savoir un peu plus sur le travail d’Aaron, deux recueils en français ont été édités ces dernières années et sont toujours disponibles. Deviations sorti en 2008 aux éditions de la Corde Raide et En chine avec Green Day sorti en 2013 chez Chat Suffit éditions.

Stéphane Delevacque
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Cometbus est devenu, au fil des ans, une sorte d’institution et surtout un des rares fanzines (pour ne pas dire le seul) distribué de façon totalement indépendante à pouvoir atteindre des chiffres de vente record avoisinant les 11 000 exemplaires. Son contenu bien sûr en est la principale raison, mais son prix volontairement bas y est également pour beaucoup, tout comme la manière très D.I.Y. dont sa diffusion a toujours été gérée.
Cometbus a longtemps été entièrement rédigé à la main. Si cela a été sa marque de fabrique, Aaron expliqua que ça n'avait jamais été sa priorité, et que contrairement aux idées reçues, ceci n’avait rien de spontané, mais demandait avant tout énormément de travail. Il avoua devoir parfois reprendre des dizaines, voire des centaines de fois certains paragraphes pour arriver à un résultat qui ne lui convenait jamais pleinement. Pour arriver à un résultat pouvant paraître instinctif et spontané, c'était toujours beaucoup de travail.
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