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Chine-Niger : une coopération entre deal et idylle - Barré

Chine-Niger : une coopération entre deal et idylle

Village chinois de Niamey (Niger)

Chine-Niger : une coopération entre deal et idylle

Un « village chinois » au cœur d’une capitale africaine. Le fait est si rare et si atypique qu’il méritait de s’y arrêter. Fidèle à notre volonté de montrer tout ce qui sort de l’ordinaire, nous sommes partis à Niamey, au Niger. La découverte de ce lieu où tout est permis ou presque a été l’occasion de lever le voile sur les aventures et les mésaventures d’une amitié nigéro-chinoise dont les enjeux balancent tantôt vers Pékin (Chine continentale), tantôt vers Taipei (Chine-Taïwan).

mardi 2 juin 2015 (Koffi Amétépé)

C’est surtout durant la nuit que le « village » donne à voir son vrai visage. / Illustration Yetiz.

Située à l’extrême ouest du Niger, sur le fleuve du même nom, la ville de Niamey n’était qu’un petit village de quelques centaines d’habitants au XIXe siècle. Sa population s’est considérablement accrue au milieu des années 1940 pour atteindre aujourd’hui près d’1,5 million d’habitants sur une superficie totale de 240 km2. Cette charmante ville se divise en deux rives. La rive gauche est surplombée par un plateau où est construite sa partie résidentielle avec quatre des cinq communes qui la composent. La rive droite est composée d’une plaine alluviale où l’on pratique l’agriculture et le maraîchage.

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L’entrée de la salle des machines à sous. / Photo Koffi Amétépé.

- Le « village chinois », ancienne base de vie des ouvriers.

C’est naturellement dans la partie résidentielle que les Chinois avaient été invités à construire un complexe sportif, au début des années 80, par le lieutenant-colonel Seyni Kountché, alors chef de l’État nigérien (de 1974 à 1987). Le projet a été réalisé par des ouvriers chinois pour lesquels a été établi un camp de base tout près du chantier. Une fois les travaux terminés les ouvriers sont partis et le quartier a été rebaptisé « village chinois ». Cet espace étrange fait partie d’un complexe administratif, touristique et sportif bâti sur environ 30 hectares. Autrefois base-vie des ouvriers chinois qui ont travaillé à la construction du stade, d’une salle de spectacle, d’un centre de formation qui sert aujourd’hui d’Académie des arts martiaux, de bâtiments administratifs qui abritent les ministères en charge du sport, de la jeunesse et de la culture, le « village chinois » fait aujourd’hui office de centre d’accueil, de restauration et de divertissement où tout est permis ou presque.
Il n’y a donc ni méfiance, ni formalité particulière pour accéder à ce lieu où toutes sortes de visiteurs, clients du restaurant et du bar, amateurs de machines à sous, vont et viennent à toutes heures. C’est probablement cette ouverture au grand public qui explique le fait qu’il a été épargné par les manifestations violentes anti-Charlie Hebdo qui ont secoué la ville de Niamey en janvier et février 2015.
En tout cas, au « village chinois », tout le monde est le bienvenu, pourvu qu’il sache ce qu’il y recherche : l’alcool, le sexe, le jackpot...
Pour rallier le « village chinois », on n’a pas besoin de « palabrer » bien longtemps. La destination est connue de tous. En tout cas, les chauffeurs de taxi vous y conduiront en moins de vingt minutes. Pour faire plus simple, il suffit de signaler qu’on va près du grand stade de football de la capitale nigérienne, le stade Seyni Koutché. Que ce soit du boulevard Mali Béro où vous mènent la plupart des bus des compagnies de transport terrestre ou de l’aéroport international de Niamey, il n’est pas compliqué de rallier le « village chinois » via la Nationale n°1, l’avenue de l’Afrique ou la Nationale n°25.
De village, il s’agit en fait d’un établissement d’hébergement de trente-cinq chambres que l’on peut occuper seul ou à deux. Il n’a pas la prétention d’être un véritable hôtel et ne porte pas d’étoile. La devanture se résume à cet écriteau particulier, « village chinois », qui ne laisse pas indifférent le visiteur qui passe le portique pour la première fois.
Il est particulièrement surprenant de trouver ce lieu au cœur d’une ville de Niamey où l’on tombe sur une mosquée ou un lieu de prière à tous les coins de rue ou presque. Plus de 95% de la population est musulmane et il n’est pas aisé de se permettre certains comportements de façon ostentatoire. Il est notamment rare de croiser hommes et femmes bras dessus bras dessous dans les rues de Niamey. Même pour les séances de footing qu’affectionnent des dames et des jeunes filles autour du stade Seyni Kountché, la burqa ou le voile restent de rigueur.

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La grande mosquée de Niamey. / Illustration Yetiz.

- Le cœur du Niger balance entre les deux Chines.

Avec le « village chinois », on peut dire que la Chine continentale a triomphé de l’île de Formose [1]. Le Niger semble avoir choisi de rester dans les bras de la « Grande Chine » au nom de ce qu’il convient d’appeler là-bas, la « diplomatie du chéquier » ou plus subtilement, la « diplomatie du développement ». C’est justement le lieutenant-colonel Seyni Kountché qui, à l’issue d’un coup d’Etat militaire perpétré le 15 avril 1974 contre le président civil, Amani Diori, a rompu les relations de son pays avec Taipei, la capitale de Taïwan, pour s’engager dans un nouveau deal avec Pékin. Depuis lors, le cœur du Niger balance entre les deux Chines.

Pays enclavé dont la population est piégée par une pauvreté quasi-endémique, le Niger a en permanence besoin d’aide extérieure pour maintenir la tête hors de l’eau. L’héritage du
« village chinois » participe de cette stratégie de coopération dans laquelle tout est bon à prendre en attendant de trouver mieux. La preuve a été d’ailleurs donnée lors des cinquièmes Jeux de la Francophonie qui se sont tenus à Niamey. C’est au « village chinois » que plusieurs délégations ont été hébergées parce qu’il offre un cadre financièrement plus accessible que les hôtels de la capitale. Et puis, là-bas, on peut se permettre des « plaisirs » qui ne sont pas toujours possibles ailleurs dans la capitale.
Même si une petite mosquée a été implantée dans le compartiment réservé au logement dans le « village chinois », il n’empêche que, dès la nuit tombée, l’alcool côtoie le sexe, le tout dans une ambiance où tous les chats deviennent gris. Dans ce lieu légué par les Chinois au gouvernement nigérien, tout (ou presque) est permis. Si les uns y viennent pour y loger, le temps d’une compétition sportive, pour une mission ou une visite dans la capitale nigérienne, d’autres l’affectionnent pour la possibilité qui est donnée de goûter à l’un des
« fruits défendus » par la pratique sociale de la religion musulmane. Qu’à cela ne tienne. Cet espace « généreusement » offert par l’Empire du milieu a au moins le mérite de permettre aux Nigériens et autres visiteurs de franchir le Rubicon, le temps d’une soirée à l’abri des regards indiscrets.

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Le portique à l’entrée du Village chinois. / Photo Koffi Amétépé.

- Au « village chinois », tous les écarts sont permis.

Employé d’une des entreprises chinoises de construction d’infrastructures de Niamey, Ibrahim vient très souvent au bar du « village » pour boire de la bière. Une chose qu’il ne peut se permettre ailleurs dans la capitale, et surtout pas dans son quartier au risque d’attirer le courroux de ses proches. Cet après-midi du très chaud mois de mars où la température ambiante avoisine 43° à l’ombre, une bouteille bien fraîche ou « bien tapée » comme on dit là-bas, fait saliver. Pour moins d’un euro (soit 550 francs CFA), Ibrahim s’offre aisément une bouteille de 50 cl de la bière locale appelée « Bière-Niger ». Le jeune homme d’une trentaine d’années prétend être « en congé maladie » ce jour-là. Toute chose qui ne l’empêche pas de siroter de l’alcool.
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[Découvrez l’intégralité de cet article dans le deuxième numéro de Barré]

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La double-page d’introduction de la version papier de l’article sur le Village chinois. A lire dans le Barré n°2 !

[1L’île de Formose est l’ancien nom de Taïwan.

Koffi Amétépé
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Depuis 2010, les Chinois ont prouvé leur capacité d’amener les Nigériens à prendre des risques en se lançant dans l’exploitation du pétrole dans les régions d’Agadez et de Diffa. Un pari qui permet aujourd’hui au pays d’être autosuffisant en matière de carburant. Ce n’est pas rien. Avec les nouvelles prospections qu’ils font dans le domaine de l’uranium dont le Niger est le premier producteur mondial, c’est un sérieux pied de nez qui est fait à la France qui avait le quasi-monopole de l’exploitation de ce précieux et stratégique minerai. Mais l’arbre des intérêts apparemment bien compris entre Niamey et Pékin ne doit pas cacher la forêt de suspicion qui entoure cette coopération. Les Chinois ne sont pas là pour rien. Si leurs entreprises tiennent à ce pays, c’est bien parce qu’ils gagnent pratiquement tous les gros contrats. De leur côté, pas de doute, les politiques et hommes d’affaires nigériens se remplissent aussi bien les poches.
  • Carte du Niger

    Carte du Niger

    photos :
  • photos : / Illustration Yetiz.
  • Intérieur d'une chambre du village

    Intérieur d’une chambre du village

    photos :
  • La salle de machine à sous

    La salle de machine à sous

    photos :
  • Le portique du village

    Le portique du village

    photos :
  • Salle de spectacle construite par les Chinois.

    Salle de spectacle construite par les Chinois.

    photos : / Photo Koffi Amétépé.
Ancienne colonie française devenu État indépendant en 1960, le Niger est situé entre l’Algérie –au nord-ouest, la Lybie au nord-est, le Tchad à l’est, le Burkina Faso et le Mali à l’ouest et le Bénin et le Nigéria au sud. C’est un vaste pays de 1 267 000 km² qui compte environ 18 millions d’habitants. Sa relation diplomatique avec la Chine a été à l’image de la grande instabilité qu’il a connue jusqu’en février 2010. C’est à l’issue du premier coup d’Etat militaire contre « le père de l’indépendance », Amani Diori que le pays a basculé de la Chine-Taïwan à la Chine-continentale. Ce choix du lieutenant-colonel Seyni Kountché a permis la construction du complexe sportif où se trouve le «village chinois». A la faveur du vent de démocratie qui a soufflé sur l’Afrique subsaharienne au début des années 90, Niamey change de Chine. La nouvelle coalition au pouvoir se tourne vers l’île de Formose pour résoudre les « graves problèmes de trésorerie » qu’elle avait à l’époque. On disait alors, « Taïwan ou le chaos ». Mais le ménage avec Taipei n’a pas duré très longtemps. Le nouveau putsch perpétré en 1996 par le colonel Ibrahim Baré Maïnassara remet les pendules à l’heure de Pékin. Depuis lors, le cœur du Niger ne bat plus que pour la « grande Chine ». Sur la question de savoir si cette donne diplomatique pourrait encore changer, un diplomate et ancien ambassadeur du Niger au Canada ne va pas par quatre chemins : « Je doute que le Niger puisse encore repartir vers Taïwan. La Chine continentale est bien installée ici. Elle a tous les gros contrats. On la trouve même quelque peu envahissante ». Mais le charme de cette coopération semble tenir à ce que le plénipotentiaire qualifie la Chine de « bon partenaire ». « Finalement on s’accommode avec les Chinois. Ils ne cherchent pas à nous imposer leur culture ou encore leurs valeurs. Pas question de respect de droits de l’homme, etc. Ils sont beaucoup moins enquiquinants que nos partenaires européens et américains ». Voilà qui est bien dit. Après avoir voltigé entre la « diplomatie du chéquier » et celle du « business », le Niger semble avoir désormais opté pour l’idylle, mais aussi le deal qui l’a toujours lié à Pékin. Et apparemment, chacun des pays y trouve son compte. Mais jusqu'à quand ? Difficile de le prévoir.

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