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Budapest, Orbán et la loi de la rue - Barré

Hongrie & sans-abri

Budapest, Orbán et la loi de la rue

À Budapest, les corps usés des sans-abri conjuguent leurs histoires autour d’une même lutte : empêcher l’application d’une loi constitutionnelle qui fait d’eux des criminels. Ils s’appellent Dodi, Jutka ou Martòn et racontent comment ils se préservent de l’administration Orbán. Récit.

mercredi 31 janvier 2018 (Camille Grange)

Ce matin, son front usé ne dépassait pas du drap blanc qui lui servait de couverture. Le camp de fortune installé au pied du courant d’air était figé. Elle avait disparu. Pour rejoindre le boulevard Károly, il est commun d’emprunter le passage souterrain qui abrite la station de métro. Les nombreux passants de la galerie du métro Astoria lorgnent l’énorme matelas sale et les sacs plastiques qui, d’ordinaire, forment une forteresse autour d’elle. Aujourd’hui, leurs sourcils froncent comme si le chemin qu’ils empruntaient tous les matins avait été modifié pendant la nuit. Car il était impossible de la manquer. Cette femme est sans-abri, et dans la Hongrie de Viktor Orbán, elle est passible d’une peine de prison.

« La Hongrie s’efforcera d’assurer des conditions de logement décentes et un accès aux services publics pour tous. »
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Article XXII de la Constitution hongroise, alinéa 1

Depuis quelques jours, les eaux du Danube ne sont plus glacées. Sur les quais du cossu cinquième arrondissement, les touristes affluent au milieu du brouillard. Leurs yeux photographient à tout-va et parfois vulgairement ces chaussures vides, posées ici en mémoire des Juifs abattus et jetés dans le fleuve en 1945. D’autres passent, et continuent leur chemin en direction du somptueux Parlement de Hongrie : un chef-d’œuvre architectural. Deux gardes sont en faction sur les marches de la façade avant. À l’intérieur, les lustres scintillent. Il faut croire que les parlementaires sont en pleine réflexion. C’est ici, qu’en 2013, 265 députés sur 386 ont adopté un quatrième amendement à la loi fondamentale. Et pas des moindres.

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/ Illustration Lilas Mala

Dormeurs à la dure

« Vous savez, ce sont ces personnes qui, faute d’avoir un toit, s’installent dans un petit coin avec des matelas, des sacs, des couvertures, et d’autres objets. On les croise dans les couloirs du métro, sous les ponts ou dans les recoins des places publiques. Ce sont eux qui sont visés. » La loi constitutionnelle vise ceux qui, en anglais, sont appelés les « rough sleepers », les dormeurs à la dure.
Robert Kepe, travailleur social, est incapable de définir « celui qui dort à la dure ». Il ouvre la bouche, puis hésite. Il sourit, puis réfléchit. À vrai dire, il ne sait pas quelle réponse donner. « L’un des problèmes que pose cette loi, c’est qu’il est impossible, même pour nous, de savoir qui est “un dormeur à la dure” et qui ne l’est pas. C’est quoi dormir ’’à la dure’’ ? Avoir une place pas très confortable ? Ça ne veut pas dire grand-chose… »
Le huitième arrondissement est l’un des plus pauvres de la capitale. C’est ici que Zoltán Aknai et Robert Kepe tentent d’appliquer les politiques sociales développées par la Menhely Alapítvány, la Fondation pour le logement. Le premier est directeur, le second, travailleur social. Dans le minuscule bureau mis à leur disposition, les cartons courent jusqu’au plafond. Derrière le bureau, une fenêtre à barreaux éclaire péniblement la pièce. « Le gouvernement n’a pas de stratégie avec cette loi. Ils ne visent pas seulement les sans-abri, mais tous les pauvres. Le seul objectif, c’est de les cacher. » Le terme « individu » prend alors tout son sens. Le gouvernement mené d’une main de fer par le parti conservateur Fidesz n’a pas l’air très enclin à développer une politique sociale claire. Pourtant, on pourrait presque s’y méprendre : la fondation Menhely Alapítvány est financée à 75 % par les administrations (locale et nationale). Son budget annuel s’élève à 500 millions de forints par an (1,6 million d’euros). La plupart de ses employés sont des travailleurs sociaux. Ils gèrent les centres d’accueil de jour et les centres d’hébergement. Pour aider les « individus » en difficulté, une aide juridique et des centres d’appel sont également régis par leurs soins. Quelques moyens sont là, et pourtant rien n’y fait. La Hongrie compte aujourd’hui dix millions d’habitants. Près de 30 000 d’entre eux sont sans-abri ou mal-logés. 10 000 errent à Budapest.

« L’État et les autorités locales contribueront également à l’établissement de conditions de logements décentes en effectuant le maximum pour assurer un logement à toute personne sans solution d’hébergement. »
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Article XXII, alinéa 2

Un homme frêle porte un gros sac à dos. Il fait les cent pas à l’intersection des rues Dob et Kurt. Sa main tente d’arrêter les passants, les voitures. Il est éteint et se sent observé. Au milieu des paisibles artères d’Erzsébetváros, l’historique quartier juif de Budapest, retrouvons-nous au numéro 4 de la rue Kurt. La façade rouge et jaune cache un curieux endroit. Au-dessus de la porte bardée de métal, un panneau : « Fürdö ». Le lieu abritait auparavant des thermes, l’une des grandes traditions hongroises. Dans le hall, quelques marches à gravir. En haut, le vieux store vénitien indique que l’accueil, identique à un vieux guichet de gare, est fermé.
Une porte à gauche, une autre à droite. Jetons un œil derrière la porte gauche. Le parquet craque. L’odeur est fétide. Ces murs accueillent un centre d’accueil de jour. Des dizaines de chaises sont occupées par des vagabonds : des hommes pour la plupart. Ils boivent une soupe chaude, un bout de pain calé entre les jambes. Le regard vide, ils se réchauffent et patientent.

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/ Illustration Lilas Mala

Allez tout droit en prison

Derrière la porte droite, le comptoir du Fedél Nélkül ! En hongrois, ces deux mots signifient « sans toit ». C’est le nom donné au journal des sans-abri, très populaire à Budapest. En 2016, des journalistes du Nepszabadsag, principal titre d’opposition au gouvernement Orbán subitement fermé pour « raisons économiques », ont trouvé refuge dans ses pages. C’est dire…
La rédaction est coordonnée par Robert Kepe, celui-là même dont vous avez déjà fait la connaissance. « Je dois dire deux mots à Ágnes et j’arrive. » Il lui passe un savon qui dure plusieurs minutes. Remarquez, cela laisse un peu de temps pour observer les lieux. À l’arrière du comptoir, Reka et son collègue jouent les marchands de journaux. « Combien tu en veux ? Tu les vends bien ? » Deux fois par mois, 150 vendeurs poussent la porte de droite pour retirer les journaux à vendre. Il leur coûte 35 forints par numéro, onze centimes d’euros.
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RESTE À DÉCOUVRIR 60% DE L’ARTICLE [Découvrez l’intégralité de cet article dans le numéro 7 de Barré]

A noter : une erreur s’est glissée dans la version papier. Les trois illustrations de cet article sont bien réalisées par Lilas Mala.

Camille Grange
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« Le gouvernement Orbán a mis 300 millions de forints pour punir des gens pauvres. Pourquoi il ne les dépense pas pour nous aider ? ! »

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