La révolution silencieuse des monnaies locales

Alternative économique

La révolution silencieuse des monnaies locales

Face à une société financière qu’ils jugent déshumanisée, des citoyens décident de se réapproprier l’économie locale en inventant une nouvelle monnaie. Des billets complémentaires à l’euro s’invitent dans les portefeuilles pour servir une économie solidaire qui valorise un système de production et de consommation écologique, social et équitable. Tour d’horizon en France où les expériences se multiplient.

samedi 22 août 2015 ()

/ Illustration Gui Mia.

« Mais quand est-ce que vous allez régler en Sol-Violette ? » Derrière le comptoir de son restaurant culturel « Folles Saisons » à Toulouse, Anne Aguilera interpelle les clients qui la paient en euros pour les convaincre d’intégrer le réseau du Sol Violette, une monnaie locale qu’elle coordonne au sein de l’association FOLIES. Devant les grands yeux ronds de ses clients, cette militante s’amuse à intriguer sa clientèle. La crise, la dette, la spéculation, les traders fous... sont autant d’images négatives qui surgissent dès lors que nous évoquons l’argent. Que représentent finalement ces bouts de papier qui courent entre nos mains, ces pièces dorées qu’on n’a pas le temps de voir briller ? Ce sont ces questions qui ont motivé des citoyens à s’organiser pour relocaliser l’économie dans une société marchande qu’ils jugent déshumanisée.

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Depuis 2011, les Sols-Violette se sont invités dans le porte-monnaie des Toulousains. / Photo Lise Ouangari.

Pour une économie solidaire

Depuis 2011, les Sols-Violette se sont invités dans le porte-monnaie des Toulousains. Sur ces couponsbillets, on peut lire les mentions « Donnez du sens à vos échanges » et « Faites de votre monnaie un bulletin de vote ». « Chaque fois que vous payez en Sol-Violette, vous soutenez l’économie solidaire », explique Anne Aguilera. Ce type d’économie est fondé sur le principe de solidarité et d’utilité sociale. « On veut que les échanges économiques créent de la richesse pour un monde meilleur, une société plus économe en termes de ressources naturelles, et plus respectueuse de l’être humain », rapporte la coordinatrice. Un large sourire aux lèvres, Anne Aguilera rejoint son bureau où les dossiers s’empilent. Féministe engagée, cette véritable militante descend régulièrement dans la rue pour défendre l’égalité sociale. Aujourd’hui, c’est une petite victoire. « J’ai eu deux nouvelles adhésions ! », se réjouit-elle en brandissant une enveloppe. Selon elle, l’idée de la monnaie locale est un prétexte pour inciter les gens à repenser l’économie. Elle est utilisée comme un instrument d’éducation populaire.
« La monnaie, c’est un objet qu’on manipule tous les jours. Ça nous permet d’attraper tous les publics et d’informer. C’est un bon vecteur pour lancer la discussion et les débats », explique la coordinatrice. Le réseau toulousain compte aujourd’hui 188 entreprises et 1850 adeptes du Sol-Violette. Sa masse monétaire représente environ 45 000 euros.
/ Illustration Gui Mia.

Un phénomène national

Les ‘‘Abeilles’’ à Villeneuve-sur-Lot, les ‘‘Euskos‘‘ au Pays Basque, les ‘‘Pêches’’ à Paris, la liste des monnaies locales s’allonge. Depuis plusieurs années, le phénomène tisse sa toile en France, probablement inspiré par le succès d’autres expériences européennes. En Allemagne, le Chiemgauer (CH) fait office de référence. Elle est la première monnaie locale d’Europe avec 823 000 CH en circulation pour plus de 3000 consommateurs et près de 600 entreprises. L’Hexagone compte aujourd’hui soixante-quatre monnaies locales en circulation ou en cours de lancement.
De plus en plus de citoyens se rassemblent au sein d’associations pour gérer et émettre eux-mêmes leur monnaie. Elle est dite locale et complémentaire parce qu’elle est intégrée dans les limites d’un territoire et ne concurrence pas les monnaies officielles. Le taux de change avec l’euro est de 1 pour 1 donc inutile de sortir les calculettes : un Sol-Violette vaut un euro. La particularité de la monnaie locale est qu’elle est fondante c’est-à-dire qu’au terme d’une cer- taine période, elle est dévaluée. À Toulouse, le Sol perd 2 % de sa valeur au bout de trois mois. Une date figure sur le coupon-billet. Au terme des trois mois, les billets doivent être réactivés au sein d’une banque partenaire. L’intérêt est d’inciter les utilisateurs à faire circuler la monnaie sur le territoire.

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L’Hexagone compte aujourd’hui soixante-quatre monnaies locales en circulation ou en cours de lancement. / Photo Lise Ouangari.

« On n’achète pas d’arme avec les Stücks »

Dans le sud de la Haute-Vienne, les coupons-billets en ‘‘Lou Pelou’’ sont sortis de chez l’imprimeur. En Occitan, Lou Pelou désigne le bogue de la châtaigne, cette peau qui pique et qu’on peut à peine
garder dans les mains. « Il faut démystifier la monnaie parce qu’on en a fait un objet de culte. L’important ce n’est pas l’argent. C’est l’échange qui fait la richesse. C’est immoral de faire de l’argent avec de l’argent », s’indigne Patrick Braeckman, un jardinier engagé dans l’association ‘‘Le Chemin Limousin’’ qui coordonne le projet. Le principe de la monnaie locale est de défendre les circuits économiques courts. « On ne se déplace pas pour Carrefour, ça ne nous inté- resse pas. Le but du jeu c’est de capter l’économie sur le territoire. Ces grandes enseignes-là, leur objectif est d’enrichir leurs actionnaires », tranche le coresponsable du ‘‘Chemin Limousin’’. Les citoyens qui utilisent la monnaie locale regrettent que l’euro sorte trop rapidement du territoire pour intégrer les marchés financiers. Les entreprises qui intègrent le réseau des monnaies locales complémentaires doivent adhérer à une charte de valeurs éthiques. En la signant, elles s’engagent à développer leurs activités en accord avec une économie durable, écologique, sociale et équitable. Également dans les starting-blocks, le ‘‘stück’’, qui signifie un ‘‘bout’’ ou un ‘‘truc’’ en Alsacien, deviendra la monnaie locale à Strasbourg en juin prochain. « On cherche une révolution culturelle dans les pratiques », explique Antoine Lévy, le chargé de la communication. « On n’achète pas d’arme avec les Stücks. On sélectionne l’économie qu’on veut voir grandir en reprenant le pouvoir sur la monnaie. C’est un outil d’échange qui doit reconnecter les acteurs économiques qui se sont perdus de vue », poursuit l’Alsacien.
/ Illustration Gui Mia.

« Je ne suis pas convaincue »

Rue des 7 Troubadours, à Toulouse, une camionnette rouge trône, mal garée, devant l’entrée de l’épicerie ‘‘Le Recantou’’. Une écharpe nouée autour du cou, un homme fait les allers-retours, les bras chargés de légumes et de portions d’agneau. ... Reste à découvrir 60% de cet article.
[Découvrez l’intégralité de cet article dans le deuxième numéro de Barré]

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La double-page d’introduction de la version papier de l’article sur les monnaies locales. A lire dans le Barré n°2 !
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Pour entrer dans le réseau, un citoyen doit adhérer à l’association qui coordonne le projet moyennant une cotisation (à partir d’une dizaine d’euros). Même principe pour une entreprise qui veut accepter les Sols-Violette. Elle doit respecter la charte des valeurs défendues par l’association (des liens forts au territoire, des prix et des partenariats équitables, des placements éthiques, le bien-être au travail, le respect de l’environnement, une faible empreinte écologique, un engagement dans l’association...). « On n’est pas l’URSSAF ou l’Inspection du Travail, mais on se rencontre régulièrement pour vérifier que l’entreprise est toujours dans les clous. C’est un échange », explique la coordinatrice du SolViolette, Anne Aguilera.
Avec l’essor du phénomène en France, les autorités ont dû définir plus précisément la valeur juridique des monnaies locales. Encadrées par la loi relative à l’économie sociale et solidaire du 15 août 2014, les monnaies locales sont autorisées dès lors qu’elles prennent la forme de coupons-billets sur un territoire donné et dans un cercle de personnes reconnues au sein d’une association spécifiquement établie pour coordonner le système monétaire.