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Etats-Unis 80 : Quand la folie créatrice emportait le Texas - Barré

Etats-Unis 80 : Quand la folie créatrice emportait le Texas

Musique & volupté

Etats-Unis 80 : Quand la folie créatrice emportait le Texas

Au début des années 1980, le Texas a vu éclore des groupes et musiciens plus déjantés les uns que les autres : The Dicks, The Butthole Surfers, Big Boys, MDC, le Scratch Acid de David Yow (chanteur de Jesus Lizard) ou dans un style plus lo-fi Daniel Johnston. Retour sur cette folle période en compagnie de Paul Leary des Butthole Surfers et de Bobby Beeman des Stick Men With Rayguns.

vendredi 6 mars 2015 (Clément Goutelle)

Les Butthole Surfers à Houston, en 1985. photo : Ben Desoto

Au début des années 1980, le Texas a vu éclore des groupes et musiciens plus déjantés les uns que les autres : The Dicks, The Butthole Surfers, Big Boys, MDC, le Scratch Acid de David Yow (chanteur de Jesus Lizard) ou dans un style plus lo-fi Daniel Johnston. Tous ces groupes ne semblaient guère se soucier des codes et prenaient plutôt un malin plaisir à les braver.
Il faut dire que la vie n’était pas si rose pour les musiciens de cet état conservateur des Etats-Unis, comme le confie Paul Leary, le guitariste déjanté des Butthole Surfers :

On était pauvres, on pouvait à peine joindre les deux bouts. On dormait dans des cabanes à outils, dans le salon chez des amis, dans des garages, partout où on pouvait se coucher. Mais personnellement, je n’ai jamais eu le sentiment de me rebeller contre quoi que ce soit mis à part la mauvaise musique populaire de l’époque. »

« On était barjots, totalement cinglés. »

Durant une décennie, au Texas le punk, le rock et le folk se jouent sans prétention mais avec un bon grain de folie. « Déviant » est certainement le mot qui caractérise le mieux la scène texane des années 1980, dont les Butthole Surfers ont été un fier étendard. La bande à Paul Leary et Gibby Haynes proposait une musique unique, un mélange étrange entre psychédélique, punk et blues : « Les gens aux quatre coins du pays pensaient qu’on était barjots. Et on était barjots, totalement cinglés. »

Les Butthole Surfers, en 1984, dans l’émission de télé américaine : Steve and Gary Show.

The Butthole Surfers est un des rares groupes texans de cette période à avoir su s’exporter :

Peu de groupes texans se sont aventurés hors de l’état. Stick Men With Ray guns était bien trop dingues pour aller bien loin. The Dicks et MDC ont quitté le Texas et ne sont jamais revenus. Ils se sentaient plus chez eux en Californie. Nous, on a toujours considéré le Texas comme notre maison. Gibby Haynes vit maintenant à New-York, mais le reste d’entre nous habite toujours au Texas. On apprécie nos racines. A l’époque, on faisait des concerts avec le yodleur Don Walser. On était fans. Il était Texan par excellence et on se sentait Texans nous-mêmes. »

Fondés en 1977, les Butthole ont trouvé leur public bien au-delà du Texas. Ils comptaient d’ailleurs parmis les nombreuses références de Kurt Cobain. Pourtant, on ne peut pas dire que la bande à Leary et Haynes ait fait preuve d’une grande ambition, loin de là : « Nos seules aspirations étaient de se bourrer la gueule, de se défoncer et de baiser. »

Les autres groupes ne recherchaient surement pas grand chose de plus. Paul Leary, lui, avait même un rêve quelque peu surprenant :

Mon but était de devenir un riche agent de change. Ça ne risquait d’arriver parce que j’étais tout le temps énervé. Je voulais punir le monde avec de la musique horrible. Je n’aimais pas les têtes de cons et je voulais faire en sorte qu’ils ne m’aiment pas non plus. »

« Ce n’était pas dur de trouver un concert. Il fallait juste se pointer. » 

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Austin, au début des années 80. / Photo Ben Desoto.

Musicalement, le Texas est considéré comme la « Third coast ». Pas la plus connue mais certainement la plus novatrice de cette période :

New-York avait une scène, la Californie avait une scène, et le Texas est bien assez grand pour avoir une scène. Mais on n’est pas comme la Californie ou New-York. On a toujours été différents du reste du pays. Au Texas, on ne se prend pas autant au sérieux. C’est rafraichissant. »

Entre 1979 et 1982, des scènes éclosent dans de nombreux états du pays, à Chicago et Washington D.C. notamment. Les groupes font leurs propres morceaux et n’hésitent pas à sortir des disques par leurs propres moyens. Le Do It Yourself est lancé avec à chaque ville son club alternatif, comme le confie Paul Leary :

Austin, Dallas et Houston toutes ces villes avaient des clubs de Punk-Rock. Ce n’était pas dur de trouver un concert. Il fallait juste se pointer. »

Les Butthole Surfers, Scratch Acid ou les Dicks étaient tous d’Austin : « Dallas et Houston avaient de bonnes scènes, mais Austin était plus fun. C’était la plus petite de ces trois villes texanes mais elle possède la plus grande université du pays. Austin était très jeune. Le groupe d’alors le plus brutal du Texas, Stick men with Raygyuns, était de Dallas. »

Nous avons donc demander à Bobby Beeman, des Stick Men With Ray guns, de revenir sur cette période faste pour la musique déjanté texane. Le bassiste de ce groupe obscure de Dallas (1981-1988) [1] explique la richesse de la scène de l’époque par la diversité du Texas, le plus vaste état des Etats-Unis :

On jouait parfois ensemble mais toutes les villes sont très éloignées et les lieux très différents. Dallas-El Paso c’est comme Paris-Prague. Je pense que la meilleure façon de voir ça est de regarder Massacre à la tronçonneuse II, celui de 1986. »

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Big Boys, concert à Austin 1980 DR
Les Big Boys pour un concert au mythique Rauls, à Austin, en 1980.

« L’esprit du Texas est sauvage, fou et créatif. »

« On avait tous un boulot. On ne dépendait pas du groupe pour gagner de l’argent. Ça nous a permis de faire ce qu’on voulait plutôt que ce qu’il aurait fallu faire pour avoir plus de fans et gagner plus d’argent. C’était aussi une époque où il n’y avait pas des caméras partout. Tu pouvais enfreindre les règles et t’en tirer sans rien. » A en croire Bobby Beeman des Stick Men With Ray Guns, le Texas n’était pas aussi conservateur qu’aujourd’hui : « Bien sûr, les autorités l’étaient. Mais l’esprit du Texas est sauvage, fou et créatif. »

A cette époque, trouver un concert était un jeu d’enfant. Entre 1981 et 1988, les Stick Men With Rayguns ont traversé le Texas de long en large :

A Austin et Houston, on jouait presqu’à chaque fois dans un endroit différent. On a joué quasiment chaque week-end quelque part pendant sept ans et on a rarement eu à chercher un concert. Les gens nous appelaient. On n’était pourtant pas si populaire que ça... mais on n’était pas payés beaucoup non plus. »

Aujourd’hui la donne semble bien différente, à en croire Bobby Beeman :

Il n’y avait pas autant de groupes à l’époque, et c’était plus facile de trouver un concert. Aujourd’hui, il y a plus de clubs, mais y’a tellement de groupes qui veulent jouer, que tout le monde essaient d’être ce qu’ils pensent que les clubs veulent pour obtenir une date. Si c’est pour sonner comme-ci ou comme-ça parce que c’est populaire, autant faire un groupe de reprises et jouer la musique des autres. Une des choses principales qui ait marché pour nous, c’est qu’on se foutait totalement de ce que les autres pensaient ou voulaient de nous. On n’a jamais voulu faire de la thune ou être célèbres. On voulait juste s’amuser. Je ne crois pas que les groupes puissent être comme ça aujourd’hui et obtenir des concerts. En tout cas, on s’est fait virer de beaucoup de salles, mais aujourd’hui je pense qu’on ne serait même pas programmés. »

Il faut dire que l’ambiance aux concerts des Stick Men With Ray Guns avait l’air pour le moins particulière :

Maintenant, les gens me disent qu’ils avaient peur de nous. Ils avaient peur qu’on leur fasse du mal. Il y avait beaucoup de peur et de colère. »

Cette authenticité, c’est justement la marque des groupes de cette décennie au Texas. On l’a retrouve encore aujourd’hui quand on demande le pire et le meilleur souvenir de concert à Bobby Beeman :

Le pire concert ? Il y en a eu pas mal... Mais le meilleur souvenir... on jouait à Austin avec les Hickoids. Ils faisaient la première partie. Quand on est arrivés, ils avaient le visage peint de toutes les couleurs et avaient accroché plein de légumes géants à des cordes à linge un peu partout sur scène. Et ils étaient vraiment bons. On se disait tous, ’’comment est-ce qu’on va bien pouvoir réussir à faire mieux que ça ? On doit jouer après ça ?’’ Donc on commence juste à faire notre set. On fait une reprise de "I Wanna Be Your Dog" des Stooges. Je me tourne vers Bobby Soxx qui chante alors que sa copine est sur scène en train de le sucer. Je me suis dit ’’voilà, le problème est réglé !’’ »


La classe selon Bobby.

[Retrouvez l’intégralité de cet article dans le premier numéro de Barré]


Christian rat attack des Stick Men With Rayguns


Pour le plaisir, la version de Dim Stars


[1Les Stick Men with Ray Guns sont surtout connus pour leur morceau Christian Rat Attack repris par le Dim Stars de Richard Hell et Thurston Moore (Sonic Youth). Mais ce groupe, qui propose une musique hargneuse avec un semblant de Flipper, vaut largement le détour. Le chanteur Bobby Soxx, a une voix typique du punk texan des années 80 : teigneuse à souhait. Pour l’anecdote, le nom du groupe vient du Comics qu’avait créé le chanteur, Bobby Glenn Calverley alias Bobby Soxx : « Stick Man With Ray Guns ». A noter également que Christian Rat Attack a d’abord été joué par le précédant groupe du chanteur : Bobby Soxx and the Teenage Queers.

Clément Goutelle
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« On s'est fait virer de beaucoup de salles, mais aujourd'hui je pense qu'on ne serait même pas programmés », confie Bobby Beeman, le bassiste des Stick Men With Rayguns
« On a toujours été différents du reste du pays. Au Texas, on ne se prend pas autant au sérieux. C'est rafraichissant », glisse Paul Leary, le guitariste des Butthole Surfers.
  • Les Butthole Surfers, Houston 1981

    Les Butthole Surfers, Houston 1981

    photos : Ben Desoto
  • Les Butthole Surfers, Houston 1985

    Les Butthole Surfers, Houston 1985

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    photos : DR
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    Dead Kennedys

    photos : DR
Paul Leary est né le 7 mai 1957. Après avoir été le producteur principal des Butthole Surfers, il travaille dorénavant essentiellement pour d'autres groupes : « J'ai produit des albums pour les Meat Puppets et Sublime, entre autres. J'ai travaillé avec U2. Je travaille en ce moment sur un nouvel album pour Sublime With Rome. J'ai un studio à la maison où j'édite et je mixe. J'ai un nouveau groupe qui s'appelle The Cocky Bitches. Notre premier album ne devrait pas tarder à sortir. J'ai également commencé un autre projet avec John Freese à la batterie. »

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